L’imitation de Bartleby de Julien Battesti (Collection l’Infini, Editions Gallimard)

 

« Dans le silence et le repos, l’âme pieuse fait de grands progrès et pénètre ce qu’il y a de caché dans l’Ecriture. » ”L’imitation de Jésus-Christ”, cité en exergue, ainsi qu’une phrase de Melville invoquant Lazare, personnage biblique sorti vivant de sa tombe sur l’ordre de Jésus, illustrent les deux rives de la crête que Julien Battesti parcourt dans ce texte. 
 
Toute écriture sérieuse engage le corps, et entre les corps des écrivains se dressent des passerelles qui mènent au verbe. Tel un écrivain, le narrateur a une fascination pour un livre, ”Bartleby”, dont il a annoté et analysé le contenu Continuer la lecture de « L’imitation de Bartleby de Julien Battesti (Collection l’Infini, Editions Gallimard) »

Un jeune garçon de Catherine Vigourt (Editions Stock)

Aujourd’hui, les succès faciles et convoités par nos amis écrivains ont établi une règle dans le vaste « marché » du livre : il n’existe presque plus de livres à « croissance organique ». Il faut soulever le lecteur (et non sa propre plume) dès la première page, et donc c’est souvent la dynamique inverse qui domine sur les tables de nouveautés.

Alors, quand commence un livre par « Un jeune garçon, très beau, sourit dans le soleil », et que les idées (de meurtre) s’articulent, que d’un souvenir à l’autre émerge une histoire, s’élève et escalade la colère, que l’aveu de l’image tant convoitée, boule de feu protéiforme, jaillit d’un volcan jamais éteint, et qu’enfin retombent les étincelles lumineuses d’un récit vers l’accomplissement final ; eh bien quand tout ça a eu lieu, je me réjouis. Continuer la lecture de « Un jeune garçon de Catherine Vigourt (Editions Stock) »

Le train zéro de Iouri Bouïda traduit du russe par Sophie Benech (Collection l’imaginaire chez Gallimard)

De grands écrivains écrivent pour ne pas devenir fous, partons de ce postulat. Certains se démultiplient. Quelques-uns sanctifient un point d’orgue, s’installent sur un minuscule point saillant et s’immobilisent le corps tremblant. De rares courageux secouent le diable par la queue et envoient leur double fictif vers le suicide. 

Iouri Bouïda précipite un train dans un bruit de ferraille : le train Zéro.

Sans oublier de vivre. « De toute façon, il fallait bien vivre. Planter les pommes de terre. Préparer le foin. Sécher les champignons. Egorger le cochon… Pas le temps d’être fatigué. Pas le temps de penser non plus, d’ailleurs. Les pensées, ça fatigue plus que la masse. Ça brûle les forces. » 

Sans oublier les traverses. « Les meilleurs traverses sont en chêne ou en pin, mais on peut utiliser le mélèze ou le sapin. Faut savoir ça sur le bout du doigt. C’est ça, la connaissance, la force, autrement dit le pain, la nourriture, la vie. »

Et la vie, les femmes. Fira, Continuer la lecture de « Le train zéro de Iouri Bouïda traduit du russe par Sophie Benech (Collection l’imaginaire chez Gallimard) »

Par les routes de Sylvain Prudhomme (Editions l’arbalète)

 

« J’avais retrouvé l’autostoppeur il y a six ou sept ans, dans une petite ville du sud-est de la France,… » Ainsi démarre cette histoire où l’autostoppeur – jamais nommé autrement – nous embarque dans la France des autoroutes. Le départ donc, synonyme de désir. Le désir comme immanence. Le tiraillement qui en résulte est le fil conducteur de cette histoire.

Il y a celui qui part, et celui qui reste. Celui qui reste donc est Sacha, écrivain qui désire faire le vide dans une vie où il piétine, à l’aube de sa deuxième moitié de vie. Il emporte pour seuls bagages deux sacs et s’installe dans la ville V. avec une « envie de table rase. De concentration. De calme. » Quelques vêtements et livres auxquels il tient. Continuer la lecture de « Par les routes de Sylvain Prudhomme (Editions l’arbalète) »

Les cendres du père de Marco Carbocci (Editions La P’tite Helène)


Marco Carbocci est un solitaire. Quelle banalité, me direz-vous : un écrivain solitaire, quoi de plus commun. Mais la solitude de Marco Carbocci est une solitude sous contrainte. Elle se déploie dans une géographie particulière ; elle s’éprouve, se vit « dans les collines. L’histoire de la terre rouge de Toscane et de la poussière et du vent et des orages. Et il me semblait que tout s’achevait là. Qu’il n’y avait pas d’autre existence, d’autre fuite et d’autre conclusion que celles-ci. » (extrait de « Sur les épaules du fleuve ») 


Commençons donc par un sentier, un sentier de maquis : « Nous étions tous les quatre à Calamoresca, ce soir-là. J’étais demeuré au sommet de la butte, fumant, pensant à des choses à moi. Les autres avaient filé tout droit sur le sentier qui dégringole jusqu’à la plage de galets. »


C’est sur ce sentier qui nous embaume de senteurs entêtantes et d’humeurs mélancoliques que l’auteur chemine. Ce sentier mène à l’endroit où les cendres du père se déverseront « dans un renfoncement du chemin, une petite ravine d’aubépine et de pierrailles ». Continuer la lecture de « Les cendres du père de Marco Carbocci (Editions La P’tite Helène) »

En coulisses d’Evguéni Zamiatine traduit du russe par Sophie Benech (Editions Interférences)


Voici un petit traité qui porte bien son nom et vous mène visiter les coulisses du cerveau de l’écrivain, ou disons d’un écrivain, Evguéni Zamiatine, avec certainement une bonne dose de bon sens, mais aussi de précautions et de remarques indispensables pour se lancer dans cette aventure fort passionnante. Car quand on écrit, c’est « Comme dans les rêves, il suffit de se dire que l’on est en train de rêver, il suffit d’enclencher sa conscience, pour que le rêve disparaisse. »

Ecrire s’apparente à un acte d’amour, je ne vous apprendrai rien. Et il faut bien des précautions pour ne pas profaner une relation d‘amour. Zamiatine de poursuivre lors d’une conférence retranscrite page 43 « Si je vous promettais sérieusement que je vais vous apprendre à écrire des romans et des nouvelles, ce serait aussi aberrant que si je vous promettais de vous enseigner l’art d’aimer, de tomber amoureux car cela aussi, c’est un art, et pour cela aussi il faut avoir du talent. Ce n’est pas un hasard si j’ai pris cette comparaison : pour un artiste, créer un personnage quel qu’il soit c’est en être amoureux. »  
Ne nous attardons pas sur les nombreuses références au lien affectif qu’entretient l’écrivain avec ses personnages. Ce qui est intéressant, c’est que quand Zamiatine parle de création, il parle de cette lumière qui s’allume quand l’esprit se détache suffisamment  pour que le cerveau ne réponde plus à la conscience, sans pour autant qu’il soit endormi. Il est alors guidé par une lumière bleue – allégorie lumineuse – et poursuit son chemin avec une suite d’associations, libère ainsi une histoire hors du corps conscient. Naît alors une fiction qui s’échappe du corps conscient. Continuer la lecture de « En coulisses d’Evguéni Zamiatine traduit du russe par Sophie Benech (Editions Interférences) »

Carson McCullers, un coeur de jeune fille de Josyane Savigneau (Editions Stock)

Dans cet essai, Josyane Savigneau se lance sur les traces de Carson McCullers, cette étonnante fille, écrivaine précoce, qui a écrit un chef d’œuvre Reflets dans un œil d’or à 24 ans. Les biographies ou autobiographies ne m’intéressent en général pas – je crois l’avoir déjà dit dans ce site – et je préfère lire l’homme à travers l’œuvre que l’inverse ; et ce sont les écueils que je redoute, la surinterprétation, la projection de sa propre sensibilité, de ses propres mécanismes de réflexions que Josyane Savigneau tente d’éviter dans cet essai. L’être humain est souvent enclin à adopter les raisonnements qui ne le mettent pas mal à l’aise ; et Carson McCullers est certainement une écrivaine qui a beaucoup dérangé, d’abord parce qu’elle a eu du succès très tôt. Continuer la lecture de « Carson McCullers, un coeur de jeune fille de Josyane Savigneau (Editions Stock) »

Le retour de Gustav Flötberg, de Catherine Vigourt (Editions Gallimard)

Catherine Vigourt aurait pu se lancer dans une diatribe savante et documentée sur l’état de notre littérature, sur la fadeur, la fatuité de certains auteurs, le comique des situations. Les circonlocutions des uns et des autres pour attirer le chaland. Faire un inventaire de ce qui définit la vigueur – l’absence surtout – d’une plume. Le désir. Ah, la vigueur ! La vie-leurre…

Mais Catherine Vigourt aime s’amuser. Elle aime les situations cocasses. Si en plus elle peut le faire en jouant avec la langue, c’est encore mieux.

Alors, prenez un roman culte, que beaucoup d’entre nous ont lu plus d’une fois ; prenez donc par exemple Madame Bovary. Plongez ce cher Monsieur Flaubert dans notre époque moderne et flanquez-lui un agent, Nancy Erocratos, d’une servilité sans faille devant son génie moderne productif – comprenez le génie d’un écrivain à succès qui a écrit la trilogie : La femme qui voulait marcher dans le ciel avec des palmes. Quelle est la question qui s’impose ? La postérité bien sûr ! La postérité dans le cirque littéraire d’aujourd’hui. Mais aussi d’hier, car évidemment, il y avait aussi à cette époque une scène littéraire où la vanité et la bassesse étaient de mise.

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Carlos et Budd, ovation et silence de Yves Revert (Editions Verdier)

 

Voici l’histoire d’un cinéaste Budd qui a vécu dans une maison aux cornets de glace renversés. Il a déjà tourné plusieurs films à succès. Son fantasme le plus cher est de porter à l’écran la vraie vie du grand matador Carlos. C’est ce Carlos lui-même qui doit jouer le rôle, et Budd est prêt à tout pour arriver à ses fins toute ressemblance avec un écrivain en quête de son personnage est fortuite. 

Alors qu’il songe à remettre sa vie en jeu après s’être retiré, ce matador lui avoue un jour « j’avais perdu tous mes enchaînements, ça a duré trois ou quatre secondes et j’ai cru que je n’allais plus pouvoir rien rattraper. » « Il y a cet instant où quand il va plonger l’épée, dit le narrateur au sujet du matador, le poids du corps sur les orteils et non sur les talons. Privé de presque tout contact avec le sol, il bascule en avant, tête haute, la charnière du buste dans le prolongement, il pourrait tout aussi bien prendre son envol et disparaître dans les airs. » (page 126) 

Carlos est insaisissable. Continuer la lecture de « Carlos et Budd, ovation et silence de Yves Revert (Editions Verdier) »

Sur les épaules du fleuve de Marco Carbocci (Editions du Héron)

Voici un récit initiatique, un de ceux qu’engendre un écrivain en début de parcours pour voir de quelle couleur est l’encre de sa plume, pour tracer sur le sable, vite, avant que la mer ne monte, le socle stable, immuable de son terrain en friche. 

Alors pour le comprendre, pour l’approcher, il faut faire l’effort de s’isoler. C’est un livre de retraite qui se lit comme on lirait « Walden ou la vie dans les bois ». Un de ces livres qui se lisent quand on a trop bu de boissons enivrantes et que la vie paraît insaisissable, quand on a traversé une période étrange et que l’on a besoin de faire un « dépôt de bilan. »

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