Catherine Vigourt aurait pu se lancer dans une diatribe savante et documentée sur l’état de notre littérature, sur la fadeur, la fatuité de certains auteurs, le comique des situations. Les circonlocutions des uns et des autres pour attirer le chaland. Faire un inventaire de ce qui définit la vigueur – l’absence surtout – d’une plume. Le désir. Ah, la vigueur ! La vie-leurre…
Mais Catherine Vigourt aime s’amuser. Elle aime les situations cocasses. Si en plus elle peut le faire en jouant avec la langue, c’est encore mieux.
Alors, prenez un roman culte, que beaucoup d’entre nous ont lu plus d’une fois ; prenez donc par exemple Madame Bovary. Plongez ce cher Monsieur Flaubert dans notre époque moderne et flanquez-lui un agent, Nancy Erocratos, d’une servilité sans faille devant son génie moderne productif – comprenez le génie d’un écrivain à succès qui a écrit la trilogie : La femme qui voulait marcher dans le ciel avec des palmes. Quelle est la question qui s’impose ? La postérité bien sûr ! La postérité dans le cirque littéraire d’aujourd’hui. Mais aussi d’hier, car évidemment, il y avait aussi à cette époque une scène littéraire où la vanité et la bassesse étaient de mise.
Alors comment s’y prend-elle ? Avec humour, non sans oublier d’en faire un récit instructif. La plume de Catherine Vigourt est vive, enlevée, sarcastique. Et puisqu’il faut s’y atteler, autant démystifier ce grand Flaubert et voir quel homme se cache derrière le personnage. On y croise également Maxime Du Camp « toujours à son aise avec les dernières manifestations du temps, dans sa marotte indécrottable du progrès. Et lui, égaré du siècle dès la naissance, aspirant à l’antique, sceptique des nouveautés. Ils s’étaient bien engueulés au pied des pyramides. Du Camp acharné sur ses négatifs papier et ses kilos d’hyposulfite de soude raillant le pacha de Croisset pour qui aucune photographie ne valait chose vécue. Le pire, c’est que cette époque lui donne raison, ruminait Flaubert, les icônes sont partout. » (page 42)
Catherine Vigourt met également en scène l’amour de Flaubert pour les statues. On peut comprendre cette fascination dans la mesure où son père était chirurgien ; et à cette époque, les avancées en chirurgie étaient importantes notamment grâce à la dissection (on pense à son contemporain Charcot et l’effervescence que la dissection a généré dans l’imaginaire de certains écrivains plus tard ; pour vous en persuader, lisez ce livre de W. C. Morrow). On y apprend également que Flaubert a éconduit Louise Collet avec une phrase bien tournée : « Ne viens jamais ici, il nous serait topographiquement parlant impossible de nous réunir. » Superbe phrase, que je m’empresse de noter au cas où…
Dans une scène particulièrement bien vue, Catherine Vigourt résume en quelques lignes les romans « à névrose » de l’homme contemporain (ces nombreux livres que l’on ouvre à n’importe quelle page et que l’on repose instantanément dans les rayons de librairie). L’auteur plante son décor dans les jardins du Palais-Royal. « Des arcades dormantes, des magasins inabordables, des vendeurs de médailles. Des salons de thé et des ministères… Gustave n’aimait rien… Non, je veux juste rentrer chez moi. Je t’en prie, fais quelque chose, je veux rentrer chez moi. Elle lui prend la main :
– Il faudra que tu la gardes pour le livre, cette scène, tu entends ? Travaille. Tu es chez toi où tu écris. » Un beau résumé, non ? Pour ma part, j’aime particulièrement ce trait de « plume » quand il se mêle à une histoire où l’auteur se met en scène en tant qu’artiste tourmenté et s’y vautre avec des phrases telles que : « ma vie m’échappe, mes yeux s’enflamment, je m’épuise, ce tourbillon de fièvre, etc… » J’aime beaucoup ; on atteint alors là une forme de parabole inconsistante du vide.
Ce livre montre comment Du Camp et Flaubert ont vécu chacun à leur manière la reconnaissance par le public. « Tu t’attaches trop à cette babiole de gloire. Même au pied des pyramides tu voulais des médailles… », dit Flaubert à Du Camp. Quelques pages plus loin, la sentence tombe quand Flaubert explique à Maxime Du Camp « Je vais t’expliquer pourquoi tu es tombé dans l’oubli,… Regarde-toi Max : tu te trouves épatant (une référence à un écrivain contemporain épatant connu ?). Tu es repu, tu n’as faim de rien, comment nourrirais-tu les autres ? »
Un autre passage très drôle, page 114 : « Du Camp exulte en posant sur la table, parmi les haricots du jour, trois tomes intitulés L’idiot de la famille.
– Deux mille cent trente-six pages, dix ans de travail. Ce Sartre est un binoclard assez connu qui a refusé le prix d’un fabricant de dynamite. »
Voilà donc une critique très amusante du monde littéraire contemporain. Du monde contemporain tout simplement. J’ai franchement ri de bon cœur dans des situations cocasses, non sans exulter bien entendu. Cette romancière a un regard espiègle et une plume réjouissante et cela fait beaucoup de bien !
Le retour de Gustav Flötberg ; Catherine Vigourt ; Editions Gallimard ; Janvier 2018.
Belle analyse. L'art d'agencer une pensée juste d'une plume alerte.
J'ai moi aussi aimé-admiré-rit avec le roman de Catherine Vigourt, mais n'aurais pas su en faire si habilement la chronique. Merci, Rita !
Merci de votre visite Sarah ! À bientôt sur le fil bleu, Rita.