Auteur : lapagederita
68, mon père et les clous
C’était une époque où j’aimais toucher avant d’acheter. Je dois avouer qu’avec l’arrivée de la vente sur internet, c’est quelque chose que je fais moins aujourd’hui quoique les brocantes et vide greniers soient toujours des endroits où j’aime bien aller pour dénicher quelques objets et surtout… pour laisser traîner mes oreilles. Voire tailler un brin de causette.
Le retour de Gustav Flötberg, de Catherine Vigourt (Editions Gallimard)
Catherine Vigourt aurait pu se lancer dans une diatribe savante et documentée sur l’état de notre littérature, sur la fadeur, la fatuité de certains auteurs, le comique des situations. Les circonlocutions des uns et des autres pour attirer le chaland. Faire un inventaire de ce qui définit la vigueur – l’absence surtout – d’une plume. Le désir. Ah, la vigueur ! La vie-leurre…
Mais Catherine Vigourt aime s’amuser. Elle aime les situations cocasses. Si en plus elle peut le faire en jouant avec la langue, c’est encore mieux.
Alors, prenez un roman culte, que beaucoup d’entre nous ont lu plus d’une fois ; prenez donc par exemple Madame Bovary. Plongez ce cher Monsieur Flaubert dans notre époque moderne et flanquez-lui un agent, Nancy Erocratos, d’une servilité sans faille devant son génie moderne productif – comprenez le génie d’un écrivain à succès qui a écrit la trilogie : La femme qui voulait marcher dans le ciel avec des palmes. Quelle est la question qui s’impose ? La postérité bien sûr ! La postérité dans le cirque littéraire d’aujourd’hui. Mais aussi d’hier, car évidemment, il y avait aussi à cette époque une scène littéraire où la vanité et la bassesse étaient de mise.
Continuer la lecture de « Le retour de Gustav Flötberg, de Catherine Vigourt (Editions Gallimard) »
Carlos et Budd, ovation et silence de Yves Revert (Editions Verdier)
Alors qu’il songe à remettre sa vie en jeu après s’être retiré, ce matador lui avoue un jour « j’avais perdu tous mes enchaînements, ça a duré trois ou quatre secondes et j’ai cru que je n’allais plus pouvoir rien rattraper. » « Il y a cet instant où quand il va plonger l’épée, dit le narrateur au sujet du matador, le poids du corps sur les orteils et non sur les talons. Privé de presque tout contact avec le sol, il bascule en avant, tête haute, la charnière du buste dans le prolongement, il pourrait tout aussi bien prendre son envol et disparaître dans les airs. » (page 126)
Carlos est insaisissable. Continuer la lecture de « Carlos et Budd, ovation et silence de Yves Revert (Editions Verdier) »
Sur les épaules du fleuve de Marco Carbocci (Editions du Héron)
Voici un récit initiatique, un de ceux qu’engendre un écrivain en début de parcours pour voir de quelle couleur est l’encre de sa plume, pour tracer sur le sable, vite, avant que la mer ne monte, le socle stable, immuable de son terrain en friche.
Continuer la lecture de « Sur les épaules du fleuve de Marco Carbocci (Editions du Héron) »
Le fusil de chasse de Yasushi Inoué traduit par Sadami Yokoö, Sanford Goldstein et Gisèle Bernier (Editions Stock)
Le sujet traité est relativement banal, un sujet souvent exploré en littérature, puisqu’il s’agit d’adultère ; mais ici, il est traité de façon magistrale, peut-être même parfaite. « Le fusil de chasse » retrace l’histoire des liaisons amoureuses d’un chasseur solitaire qui reçoit trois lettres : une lettre de son épouse, une de son amante écrite juste avant son suicide, une de la fille de cette dernière qui découvre la liaison de sa mère en lisant son journal intime.
Né d’aucune femme de Frank Bouysse (Editions La manufacture de livres)
Martin Eden de Jack London traduit par Francis Kerline (Editions Libretto)
Mais en réalité l’essentiel de ce livre, l’essentiel des scènes de ce livre tient dans un salon. Bourgeois. Ou alors dans une pièce miteuse qu’occupe notre protagoniste chez sa sœur. Quelques rares fois sur un carré d’herbe où Martin Eden converse avec La Femme, celle qui lui donne envie de s’élever.
D’où vient alors cette impression ? Il y a bien quelques voyages en mer évoqués, mais ce n’est pas là l’essentiel du propos. Et c’est précisément en refermant ce livre que l’on comprend que l’écriture est un rapport à la vie. Continuer la lecture de « Martin Eden de Jack London traduit par Francis Kerline (Editions Libretto) »
Tous des oiseaux, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, théâtre La Colline.
Eitan est un scientifique juif allemand. Il ne croit pas au hasard. Il compte les probabilités d’occurrence de chaque évènement, le nombre de fois où un livre est consulté, le nombre de livres qui restent sur la table. Et Le Livre, qu’il a vu, vu et revu sur une table, durant deux ans de présence à la bibliothèque.
Le livre prophétique.
Gigantesque mur couvert de milliers de livres, table en bois robuste, lampe en laiton, abat-jour vert-bibliothèque, une femme vêtue de rouge, très belle. Le visage fermé, Wahida planche sur sa thèse. Le livre prophétique est grand ouvert ; elle tourne les pages avec frénésie, se nourrit de la vie de Hassan El-Wazzan, capturé par des pirates siciliens et offert au pape Léon X, qui le convertit au christianisme. Les deux, Léon X et Léon l’Africain, diplomate marocain du XVIe siècle, se sont mutuellement respectés.
Eitan et Wahida tombent amoureux. La machine à fantasmes se met en marche.
Vite rattrapée par la machine à broyer.
L’écriture, la musique, le son juste
Au moment de l’écriture, il y a un transfert qui se met en place d’un monde où l’on est à la fois à l’écoute de ses sensations et réceptif aux sensations des autres, à un monde où l’on écoute exclusivement ses propres sensations. Le monde habituel disparait et un nouveau monde se met en place. Cet autre monde est constitué de figures imaginées, fantasmatiques, de personnages reconstitués, de personnes disparues qui nous ont marqués.
Cet autre monde peuplé de personnages entre alors en résonance avec son propre état, sa propre humeur. Cette résonance engendre un état émotionnel, comme une suite d’accords harmoniques en musique, un état de joie, de transe, d’émotions vives que produit une musique. Douce, dissonante, tourmentée, coulante, effrontée. Il me semble que ce cheminement donne naissance à une musique, et que la vérité du texte est là. C’est à partir de là que l’écriture produit un texte qui sonne juste. Et je le vois dans le résultat de mon écriture. Je discerne l’écriture la plus juste de l’écriture plus distante en fonction de l’intensité de la résonance. Continuer la lecture de « L’écriture, la musique, le son juste »